Depuis le début de la crise sanitaire inédite que traverse le monde, les institutions muséales débordent d’inventivité et investissent les réseaux socionumériques (Facebook, Instagram, Twitter, YouTube) pour proposer de nouvelles manières de vivre l’expérience muséale.
La réactivité des musées face à leur fermeture contrainte et forcée nous amène à réfléchir aux préoccupations des musées du XXIe siècle. Alors que le numérique est souvent perçu comme une injonction, une course effrénée et inégale au « tout technologique », quelles propositions les musées font-ils aux personnes confinées ? Quelles pratiques mettent-ils en avant pour assurer ne continuité de leurs offres, et de ce fait maintenir un lien avec la population ? Sont-ils en train d’esquisser une nouvelle voie pour les musées de demain, celle du musée post-Covid-19 ?
En suivant ce « fil d’Ariane » déroulé par les musées français, nous proposons quelques pistes de réflexion sur une organisation en pleine crise d’identité depuis les années 2000) qui, comme nous tous, doit faire face à cette crise sans précédent.
L’étude d’un corpus de 78 pratiques de musées français proposées en ligne depuis le début du confinement nous a permis de constater certaines tendances récurrentes : ludification des contenus diffusés (jeux, collages, quiz, jeux vidéo), simplification et détournement de l’objet muséal (concours photo, travaux manuels et culinaires), démystification du musée et de son fonctionnement (présentation des coulisses et des personnels). Autant de tendances qui font échos aux nombreuses injonctions modernistes faites aux musées) parmi lesquelles ressortent tout particulièrement celle de la photographie, de la créativité et de la ludification.
Des contenus plus ludiques
Le musée de demain doit-il être amusant) ? Pendant le confinement, il semble que ce soit le cas : les musées rivalisent de créativité pour occuper leurs usagers avec des jeux, quiz, coloriages et même des jeux vidéo. Le numérique permet d’élargir les lieux de partage des savoirs), en créant un avant et un après à la visite, avec la possibilité de préparer les visites a priori, et d’apporter un souvenir à la sortie de la visite.
En période de confinement, les musées sont en quête d’un « à côté » de la visite. Les familles confinées sont en recherche de loisirs. Le rôle social des musées, interrogé dès la création de l’ICOFOM en 1977 et toujours présent dans les statuts de l’ICOM refait surface.
Sans école et sans colonie, les enfants ont besoin de s’occuper. Au programme : invitation au dessin, à sortir les tubes de colle pour construire une citadelle ou un théâtre d’ombres, à la peinture à la betterave, au recyclage, ou encore au coloriage, ou au jeu des sept erreurs.
Le programme se centre aussi sur les amateurs de jeux vidéo, en les invitant à découvrir les collections du Museum d’Angers par le biais du jeu vidéo Animal Crossing, qui devient le support d’une médiation personnalisée surfant sur l’actualité et le succès d’une franchise de jeu appréciée et attendue des plus petits aux plus grands. Cette pratique illustre parfaitement le concept de gamification ou ludification : apprendre en jouant), décomplexifier des savoirs par le jeu. Notons aussi que les quiz ont séduit de nombreuses institutions, en privilégiant des formats interactifs comme le #GuessWho du musée de Cluny sur Twitter.
Le musée occupe, amuse mais continue aussi de transmettre des savoirs pendant cette période de confinement. La crise sanitaire permettrait-elle de dépasser le simple divertissement), pour utiliser le ludique au service des missions traditionnelles du musée (acquisition, conservation, étude, exposition, et transmission) ?
Détournement de l’objet muséal
L’objet muséal est sanctifié. Pendant longtemps, le photographier était interdit, voire considéré comme une hérésie) et constituait une entrave à une expérience esthétique directe. Cette pratique étant désormais acceptée, le confinement conduit même à une valorisation des captations photographiques des visiteurs. Les musées se positionnent en collecteur des souvenirs de leurs usagers : des souvenirs plus ou moins anciens, pouvant dater d’il y a 40 ans.
Au-delà du souvenir, la photographie est un outil d’appropriation des œuvres). Elle devient un pont entre le quotidien des usagers et les œuvres uniquement visibles au travers d’écran.
Pendant le confinement, la photographie des œuvres est surtout devenue le support de la créativité des usagers. Si les musées connaissent une injonction à la créativité), c’est grâce aux usagers qu’ils inondent les réseaux sociaux en répondant à des défis. #TussenKunstenQuarantaine et #GettyMuseumChallenge contribuent alors à détourner l’objet muséal. L’usager pose comme la star des plus grands chefs d’œuvre, reproduits avec les moyens du bord.
Mais tous les musées n’attendent pas leurs usagers pour détourner les objets muséaux qu’ils ont sous la main, à l’instar du musée Fabre de Montpellier qui sur son compte Facebook réalise des mèmes pour sensibiliser ses abonnés avec ses collections.
Le numérique dans les musées est censé permettre une transformation du rapport aux collections, en permettant une appropriation des images et des contenus. Cette appropriation semble d’autant plus garantie quand il y a un détournement de l’objet muséal, qui devient un terrain de jeu, d’expression et de créativité pour les usagers. Que de mieux pour comprendre la composition d’un tableau que de la reproduire à la maison ?
L’institution muséale démystifiée
Rendre visible l’invisible, et rendre hommage à ce qui ne l’est pas lors des visites traditionnelles des musées. Voilà un des nouveaux challenges du musée confiné. Alors que la démystification du musée se cantonne souvent à des stratégies d’élargissement des publics, pendant le confinement, elle passe aussi par la valorisation des différentes activités du musée, souvent invisibles aux yeux du public. On découvre alors les coulisses des musées. Ils en profitent pour valoriser le travail de leurs équipes en proposant des « stages » avec les restaurateurs du musée de Quimper, en montrant les dessous de la conservation au musée de Nouvelle-Calédonie, ou en donnant la parole à tous les personnels du musée des Beaux-Arts de Bordeaux. On met des visages sur les personnels des départements du Louvre et sur le conservateur de l’exposition El Greco.
Démystifier, c’est aussi faire participer le public à l’offre muséale. Sous l’impulsion de Georges-Henri Rivière, et dès les années 70, le public s’est vu donner une place centrale dans le projet muséal. En 2008, Serge Chaumier explique que l’un des écueils de la participation des visiteurs est le risque de rendre insipides les contenus proposés par les musées. Ce n’est pas en donnant au public le dernier mot – de façon démagogique – que Chaumier pense une muséologie participative, mais en faisant du visiteur un partenaire et une ressource de solutions innovantes à imaginer. La participation en période de confinement de l’usager aux expositions dépasse l’évaluation, et va jusqu’à la co-construction de l’exposition. Le musée du Pont-Aven offre un choix à l’usager : quelles œuvres de la réserve souhaite-t-il découvrir à la prochaine exposition ? Eloigné physiquement de son public, le musée l’implique autrement, le numérique servant alors d’interface.
L’esquisse d’un modèle muséal alternatif ?
Les musées n’auront jamais été aussi présents ni aussi inventifs en ligne. Cette situation inédite a entraîné les musées dans une nouvelle voie. Avec de nouvelles formes de communication et de diffusion, s’adressant à tout type de public, le musée réassure son rôle social et fait preuve de créativité. Alors que l’avenir des organisations culturelles demeure encore incertain malgré le déconfinement progressif du pays, les initiatives des musées seraient-elles en train de poser les jalons d’un modèle muséal alternatif connecté, divertissant tout en étant source d’apprentissage et de créativité, accessible à tous ? Une chose est certaine : les musées ont su rebondir et proposer une palette d’offres fournies et diversifiées pendant le confinement, montrant que l’art et les musées sont un refuge possible face à la crise.
Mathilde Dougados, Doctorante contractuelle en sciences de gestion (IMPGT), Aix-Marseille Université (AMU) et Bérénice Kübler, Doctorante en Sciences de Gestion - IMPGT- CERGAM, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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